Altior

Les voûtes de Notre-Dame de Paris et la quête de la hauteur dans l’architecture gothique en France, XIIe -XIIIe siècles

Equipe

Direction : Yves Gallet (Ausonius, UMR 5607)

Responsable pour le partenariat du LA3M : Andreas Hartmann-Virnich                          

Participants LA3M :        

Andreas Hartmann-Virnich (PR AMU, LA3M UMR 7298) : étude archéologique du bâti

Paul François (IR CNRS, LA3M UMR 7298) : infographie 3D : restitutions architecturales

Heike Hansen (IR contractuelle, membre associé LA3M UMR 7298) : relevé manuel à haute définition

Dylan Nouzeran (IE contractuel, membre associé IRHiS UMR 8529, Université de Lille) : relevé 3D (scan/photogrammétrie), traitement, SIG

Description

L’engagement du LA3M dans un projet de recherche portant sur la construction des grandes cathédrales gothiques du nord de la France entre la seconde moitié du XIIe et la première moitié du XIIIe siècle s’explique non seulement par son expertise dans le domaine de l’archéologie du bâti et la nécessité tant morale que scientifique d’apporter une contribution substantielle à la plus vaste synergie interdisciplinaire autour de l’étude d’un édifice historique en France, conséquence de l’incendie des charpentes de Notre-Dame survenu le 15 avril 2019. Les enjeux de l’étude dépassent très largement leur cadre régional, puisque les formes architecturales et les techniques de mise en œuvre développées sur les grands chantiers gothiques septentrionaux ont été exportées vers le Midi à partir de la fin du XIIe et pendant tout le XIIIe siècle. Le programme Altior permettra ainsi de mieux connaître la dynamique de la lente révolution technique et architecturale qui s’opère alors sur les chantiers méridionaux. La participation du LA3M porte à la fois sur l’étude archéologique et le relevé numérique et analogue à haute définition des élévations et sur la participation à la restitution 3D des états successifs à partir de l’élaboration et vérification d’hypothèses fondées sur la connaissance intime du monument acquise depuis 2020 par la participation du LA3M au Groupe de travail Pierre du Chantier scientifique Notre-Dame.

Andreas Hartmann-Virnich

Paris, Notre-Dame, déambulatoire du chevet : proposition de restitution (hypothèse en cours d’étude) de l’état à l’achèvement des voûtes (vers 1175d). Axonométrie schématique (A. Hartmann-Virnich, mars 2024)

Extraits de la description du projet d’après le dossier validé par l’ANR :

« Comment les architectes des cathédrales gothiques ont-ils réussi à construire des voûtes toujours plus hautes ? Comment sont-ils parvenus, en l’espace d’une génération, à passer d’une hauteur d’environ 24 m pour les plus grandes cathédrales des années 1130-1150, à une hauteur de 32 m à Notre-Dame de Paris, entreprise aux alentours de 1160 ? Et comment ont-ils, ensuite, hissé leurs voûtes à 36 m à la cathédrale de Chartres, 37 m à Bourges, 39 à Reims, 43 à Amiens et à Cologne, et jusqu’à 48 m à Beauvais vers 1260-1270 ? Les historiens de l’architecture médiévale ont depuis longtemps constaté la réalité de cette conquête de la hauteur, véritable colonne vertébrale de l’aventure des cathédrales gothiques jusqu’en plein XIIIe siècle. Cependant, ils peinent encore à expliquer les procédés techniques et architecturaux qui l’ont rendue possible. Jusqu’à ces dernières années, en effet, la construction et le fonctionnement des voûtes des cathédrales gothiques restaient mal connus, en l’absence de modèles numériques permettant de simuler avec précision le comportement mécanique de structures maçonnées complexes, et faute aussi de données matérielles : si, par le passé, ces cathédrales ont fait l’objet de nombreuses études formelles et stylistiques, elles ont rarement été abordées dans la matérialité de leur construction, sinon à l’occasion de chantiers de restauration accompagnés d’une étude archéologique du bâti. De nombreuses questions restent ainsi en suspens. Y a-t-il par exemple une corrélation entre la plus grande hauteur des voûtes de Notre-Dame et leur extrême minceur ? Ou bien le progrès est-il plutôt dû, ici et ailleurs, au choix de matériaux plus adaptés, à une meilleure maîtrise des descentes de charge, à la mise au point d’arcs-boutants plus performants ?… L’incendie survenu à Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019 et le chantier de restauration qui s’est ouvert ont replacé au cœur de l’actualité cette question des voûtes des grandes cathédrales gothiques : l’événement a de nouveau attiré l’attention sur leur hauteur, et donc sur la prouesse architecturale qu’elles représentaient, mais aussi sur la potentielle fragilité de ces structures et sur leur valeur patrimoniale. L’attente sociétale a imposé avec force cette question dans l’agenda des scientifiques qui étudient aujourd’hui Notre-Dame, comme dans les priorités des architectes chargés de sa restauration. Le chantier scientifique lancé par le CNRS et le Ministère de la Culture (MC) en parallèle à la restauration offre une opportunité unique d’accès au cœur des structures de la cathédrale, avec des perspectives d’investigation d’une ampleur et d’une précision inédites compte tenu des échafaudages en place jusqu’en 2024. Au même moment, une série de cathédrales de tout premier plan (Chartres, Bourges, Amiens) sont échafaudées dans le cadre de travaux de restauration. C’est ce contexte exceptionnel qui engage à revenir sur la construction des voûtes de Notre-Dame, et plus largement sur la quête de la hauteur dans l’architecture gothique des XIIe -XIIIe siècles. C’est l’objectif que se fixent les chercheurs réunis au sein du projet ALTIOR (du latin altior, « plus haut »)…

La compréhension des méthodes constructives ayant conduit à une élévation de la hauteur des voûtes des cathédrales gothiques convoquera sciences humaines et sociales (histoire de l’architecture, archéologie du bâti, archéométrie) et sciences pour l’ingénieur (sciences des matériaux, géophysique, génie civil, calcul de structure) en s’appuyant notamment sur une modélisation numérique performante des structures étudiées, basée sur la méthode des éléments discrets (MED). En effet, ce type de modélisation permet de simuler finement le caractère hétérogène et non linéaire d’une maçonnerie par la prise en compte de l’influence morphologique de l’appareillage ainsi que les interactions entre divers éléments structuraux, notamment celles entre la maçonnerie et les dispositifs constructifs comme les cintres. La MED est à la base des modélisations menées dans le projet ANR DEMMEFI (2021-2024) pour décrire l’état mécanique actuel (post-incendie) des voûtes de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les modélisations mécaniques seront donc re-paramétrées afin de comprendre l’état médiéval des structures de la cathédrale et leur mise en œuvre. Le paramétrage se fera sur la base d’une documentation renouvelée, permettant d’établir une carte d’identité des voûtes de Notre-Dame et des structures qui en assurent la stabilité : étude critique des transformations apportées aux élévations et au contrebutement de la cathédrale depuis le XIIe siècle, caractérisation des matériaux des voûtes et de leur mise en œuvre, étude morphologique des voûtes, analyse du comportement mécanique. Les données seront acquises par une étude archéologique du bâti menée depuis l’échafaudage, au plus près du monument, par des campagnes de prélèvement pierre et mortier suivies d’analyses en laboratoire, et par une modélisation numérique des voûtes et de leur système de contrebutement par la MED. Ces données alimenteront une réflexion sur les modes de construction des voûtes (dispositifs de cintrage/décintrage, temps de prise des mortiers…) et sur le phasage des travaux du chantier gothique, suivie d’une validation des hypothèses par la modélisation. Il est attendu que la simulation numérique fasse émerger les éléments pertinents pour mieux comprendre la construction des voûtes de Notre-Dame. Il s’agira ensuite de comparer les caractéristiques de ces voûtes à celles d’une sélection de grands édifices gothiques des années 1130- 1270, qui forment avec Notre-Dame de Paris le corpus du projet (cathédrales de Sens, Chartres, Bourges et Amiens), et de déterminer les principaux paramètres pouvant avoir joué un rôle significatif dans la conquête de la hauteur aux XIIe et XIIIe siècles : morphologie des voûtes d’ogives (sexpartites, quadripartites), géométrie et portée des voûtes, calibrage des nervures (doubleaux, ogives, formerets), épaisseur des voûtains, densité de la pierre et résistance à la compression, qualité des mortiers, performance des systèmes de cintrage et de coffrage, efficacité du contrebutement, etc. Du point de vue chronologique, ces chantiers encadrent celui de Notre-Dame de Paris, ce qui permettra d’étudier une séquence élargie sur plus d’un siècle (Sens ca. 1130-1170, Paris ca. 1160-1220, Chartres ca. 1195-1230, Bourges ca. 1195-1260, Amiens ca. 1220-1270). Pour ces monuments sont prévus une étude historique et architecturale, une caractérisation des matériaux de construction, des campagnes de mesure de l’épaisseur de leurs voûtes par géoradar, ainsi que des modélisations mécaniques. »

Le pont d’Avignon : archéologie, histoire, géomorphologie, environnement, restitutions 3D

Inauguré en janvier 2011, le projet ANR rassemble quatre laboratoires autour du sujet de la restitution virtuelle du pont d’Avignon à différents stades de son existence. La collaboration réunit le MAP (équipe GAMSAU – Groupe de recherche pour l’application des méthodes scientifiques à l’architecture et à l’urbanisme) FRE 3315, pilote du projet et responsable de la réalisation du relevé et des maquettes virtuelles, le LA3M en charge de la recherche archéologique sur la structure matérielle du pont à partir de l’étude monumentale et de la recherche et exploitation des sources iconographiques, le CEREGE (Centre Européen de Recherche et d’Enseignement des Géosciences de l’Environnement) UMR 6635 investi dans la recherche et prospection géophysique sur l’évolution du lit du Rhône et de ses dynamiques fluviatiles, et le CIHAM (Centre Interuniversitaire d’histoire et d’archéologie médiévales) qui oriente ses recherches sur l’histoire de l’environnement urbanistique du pont, et sur le classement des archives rassemblées en collaboration avec les différents partenaires.

La mise en œuvre du projet accuse toute la difficulté de donner un visage concret aux états médiévaux du pont. L’étude archéologique, archivistique et iconographique a pour vocation de préciser la chronologie de l’édifice et de ses nombreuses réparations, restaurations et réfections, en vue de la restitution numérique de l’ouvrage qui ne conserve aujourd’hui que quatre des vingt-deux arches qui le composaient dans son dernier état avant l’abandon définitif des réparations et reconstructions après 1670. Si le rapport de ses plus anciennes structures conservées avec la date de 1177, rapportée par le récit légendaire de la fondation par le pâtre Bénézet, reste incertain, la chapelle romane construite sur la seconde pile appartient effectivement au style roman de la fin du XIIe siècle. Dans son premier état, le sol du petit édifice, composé d’une abside et d’une seule travée de nef unique, était en contrebas de celui de la chapelle inférieure actuelle, un indice qui suppose l’existence d’un premier tablier charpenté au même niveau, conformément aux sources historiques. Dès avant l’achèvement de la chapelle le projet semble toutefois avoir évolué, et la construction d’une voûte pour diviser la chapelle en deux niveaux, accompagnée du prolongement de la nef inférieure d’une ou de deux travées, s’inscrit sans doute dans le programme de reconstruction du pont en dur réalisé à partir de 1234-1237, date compatible avec le style des colonnettes et des ogives. Si le nouveau tablier dut désormais passer au-dessus de la nouvelle nef inférieure à hauteur du sol de la chapelle haute, sous un porche voûté dont il subsiste l’arrachement, l’étroitesse du cheminement actuel suggère que le pont fut une nouvelle fois reconstruit après cette date, car axé sur le châtelet de défense construite en 1348, sans compter l’ajout d’une abside supérieure en 1513, et les nombreuses vicissitudes ultérieures consécutives dont les arches furent victimes suite à l’activité destructive du fleuve et de l’homme.

Le programme de 2012 porte plus particulièrement sur l’achèvement et la vérification des relevés pierre-à-pierre et des stratigraphies murales, sur l’information archéologique des scans 3D réalisés à partir de mars 2012, et sur l’interprétation, souvent ardue dans le détail, des nombreuses sources iconographiques sélectionnées en fonction de leur pertinence pour la restitution numérique.

Gouverner par l’enquête au Moyen Âge

Répondant au programme de l’ANR « Gouverner et administrer », actif entre 2009 et 2011, le programme Gouvaren a réuni deux partenaires issus de la MMSH, les UMR TELEMME et LA3M et été coordonné par Laure Verdon et Anne Mailloux.

Construit autour de la pratique de l’enquête publique, entendue comme le recueil d’informations par l’interrogatoire de témoins – et notamment de l’enquête menée par Leopardo da Foligno en Provence entre 1331 et 1334, le programme entend examiner une forme de gouvernement originale, orientée vers la réforme des pratiques administratives et la réalisation du bien commun, au fondement du « Bon Gouvernement » qui irrigue la pensée politique à partir de la moitié du XIIIe siècle.

Après un colloque dressant un bilan des recherches sur l’enquête au Moyen Âge, les travaux, toujours menés dans une perspective comparatiste, ont porté sur la spatialisation de l’enquête, les pratiques administratives qu’elle engendre et enfin les théories et pratiques politiques qui la sous-tendent ou qu’elle contribue à faire évoluer.

Un accent particulier a été mis sur l’analyse documentaire et l’approche technique des documents, selon une méthodologie qui s’apparentent à une archéologie de la pratique administrative : c’est un « ars gubernandi » qui est ainsi donné à voir. Un colloque et des journées d’études régulières, ainsi qu’un carnet de recherche (veille bibliographique, suivi de l’actualité de la recherche en la matière) permettent d’élargir les discussions et de diffuser les travaux auprès du public intéressé.

Publications

Pécout T. (dir.), Quand gouverner c’est enquêter: les pratiques politiques de l’enquête princière, Occident, XIIIe-XIVe siècles, Paris, de Boccard, coll. « Romanité et modernité du droit », 2010, vol. 1/, 627 p.

Mailloux A., Verdon L. (dir.), L’Enquête en questions. (Actes du programme Gouvaren), CNRS (Collection Alpha).

Étude, conservation et valorisation du groupe épiscopal de Cuicul-Djemila

L’archéologie du XIXe et de la première moitié du XXe siècle a fortement affecté le patrimoine par des fouilles nombreuses et extensives dont les méthodes ont le plus souvent ignoré la stratigraphie. En résultent des pertes d’informations considérables et des difficultés de gestion des vestiges.

Face à ce constat, le projet EPICUR fait le pari de réétudier ces vestiges mis au jour anciennement. Il se penche ainsi sur le cas emblématique de la cité de Cuicul-Djemila (Algérie), inscrite au patrimoine mondial par l’Unesco, grâce à un protocole de recherches non invasives s’appuyant sur les nouvelles technologies.

Son objectif est double :

  1. étudier le groupe épiscopal paléochrétien s’étendant sur près d’un hectare et fouillé au début du XXe siècle ;
  2. montrer que les découvertes anciennes renferment encore un potentiel important dont l’exploitation raisonnée peut permettre de faire progresser la connaissance tout en assurant leur conservation par la documentation et en valorisant les résultats à travers la formation, la publication, la muséographie et le numérique.