Nivera, Cervione

Cette mission est pilotée par le LA3M.

2024 → 2024

Localisation

Cervione, France.

Effectif du LA3M engagé

Direction : François Bartolomei

Présentation

Contexte d’intervention

L’étude du puits à neige (nivera en corse) de la commune de Cervione (20221) s’est déroulée dans le cadre de la thèse de doctorat du responsable d’opération. Cette prospection archéologique thématique avec sondage fut motivée par le besoin d’apport en données archéologiques à propos des glacières et nivières corses.

Grâce à des discussions avec des passeurs de mémoire et à l’aide d’un mémoire de guide de montagne rédigé par Dominique Descalzo en 2008, le site apparu comme un candidat potentiel à l’étude. Ce dernier se situe entre le lieu-dit Stupiole et Punta di nevera et est localisée au sud-ouest du village, à quelques mètres à l’ouest du belvédère le surplombant (fig. 1).

Peu d’informations concernant la nivera sont parvenues jusqu’à nous. Son existence demeure inscrite dans la mémoire collective en raison de son activité au XIXe siècle, évoquée lors d’entretiens avec l’une de ses propriétaires, Madame Madelaine Graziani.

Bien que le cadastre napoléonien indique sa présence à cette période, le terroir environnant l’espace de recherche n’en reste pas moins occupé avant. Le site du froid se situe dans une châtaigneraie existant à minima depuis la confection du plan Terrier entre 1770 et 1795.

Il s’agit d’un puits à neige circulaire, semi-enfoui et maçonné. Au nord, la paroi s’est effondrée et la structure mesure environ 4 m de diamètre pour 4.30 m de profondeur.

L’importance scientifique du site, bien que plus petit que les autres glacières et nivières de Corse, est mise en valeur par son modèle typologique. Contrairement à Ville-di-Pietrabugno, la nivière de Cervione prend la forme d’un puits unique, sans couvrement maçonné et seul site du froid du territoire. Il est exploité au XIXe siècle, non pas par des notables, mais par des individus vraisemblablement moins aisés : bergers et paysans vendant leur production aux cafés du village.

Les archives concernant le site étant quasi inexistantes, le sondage archéologique avait pour but de pallier le manque de documentation et d’apporter des datations plus précises.

Cervione étant une commune assez riche et peuplée à l’époque moderne (1067 habitants sur les 1776 de la pieve de Campoloro en 1762), l’hypothèse d’un besoin de neige par la population avant 1869, comme à Ajaccio ou Bastia, était tout à fait envisageable. Le fait que la commune ait été le siège de l’évêché d’Aléria, un chef-lieu du royaume de Théodore de Neuhoff, de la pieve de Campoloro puis de la juridiction d’Aléria, renforcerait l’idée de la présence d’une population relativement aisée et importante créant une demande en neige et en produits rafraîchis.

Déroulé de l’opération

L’opération archéologique s’est déroulée du 20/05/2024 au 31/05/2024. Trois bénévoles : Eva Albaladejo (invitée), Marie Bossard Chastel Thievent (L3 Archéologie AMU) et Amelie Russo (L2 Archéologie AMU), participèrent au bon déroulement de la prospection et du sondage.

Après un débroussaillage du site au mois de mars, deux sondages furent ouverts. Le premier, s’appuyait au nord-est contre le parement extérieur du puits à neige tandis que le second permit de démonter le pierrier d’effondrement formé au nord. Un chêne poussant dans la paroi intérieure du puits à neige fut élagué et sécurisé par une équipe sous la direction d’Yves Cecarelli et Raphael Franzoni. Cette dernière fut mise en contact avec le responsable d’opération par le biais de Gilles Leoni et de L’association A Madona di a Scupiccia.

Résultats

Malgré une présence très faible de mobilier archéologique, l’étude du site permet de répondre à certaines interrogations tout en apportant de nouvelles données.

Le puits à neige de Cervione possède une architecture unique par rapports aux autres sites du froid de Corse. Les constructeurs ont semble-t-il profité de la pente pour aménager le site et ainsi diminuer le travail nécessaire au creusement du puits. Un mur à deux parements dotés de blocages a ensuite été maçonné. Aucune entrée n’a été identifiée, laissant penser que l’accès se faisait par le haut. De même aucune trace d’un quelconque couvrement ou de système d’évacuation des eaux de fonte n’ont été observés.

L’architecture générale du site semble donc plutôt « rudimentaire » : un puits creusé puis maçonné d’un mur à deux parements dans lequel on accédait par le haut via des aménagements en matériaux périssables. La neige récoltée dans les champs de neige à proximité y était déposée en suivant ce principe avant que le puits ne soit lui-même fermé par une couverture en matériaux périssables (charpente ou simple accumulation de terre et de matières végétales). Si ce modèle de structure ne garantit pas une isolation optimale ni ne respecte les modèles présentés dans les différentes encyclopédies (absence d’aération, d’évacuation des eaux de fontes, de sas, etc.), il est tout à fait capable de répondre à la demande locale à savoir Cervione et son évêché.

Au vu de la rareté des sources et du mobilier archéologique, l’hypothèse d’une installation d’un artisanat et d’un commerce du froid entre le XVIIe et le XVIIIe siècle ne peut pas être confirmée. Ainsi, la nivera de Cervione semble plutôt être un site avec une durée de vie assez courte. Si on ne connait pas encore son origine, il est probable, tout comme la glacière de Vizzavona, que l’exploitation artisanale cerviuninca ait subit la concurrence des différentes usines à glace s’installant dans l’île au XIXe siècle, menant ainsi à son abandon.

Cervione, Nivera, Détail du parement extérieur
Crédit : CL. François Bartolomei (AMU, CNRS, LA3M – UMR 7298)
Cervione, Nivera, Effondrement du mur du puits à neige
Crédit : CL. François Bartolomei (AMU, CNRS, LA3M – UMR 7298)
Cervione, Nivera, Sécurisation du puits à neige après élagage
Crédit : CL. François Bartolomei (AMU, CNRS, LA3M – UMR 7298)